La
France a-t-elle illégalement organisé le transfèrement de jihadistes
français de la Syrie vers l'Irak, où ils ont été ensuite condamnés à mort
? Au début de l'été, 11 Français qui avaient rejoint le groupe
État islamique ont été condamnés à la peine capitale à Bagdad. Dans un courrier de six pages adressé
au gouvernement, Agnès Callamard, la rapporteure spéciale de l'ONU
sur les exécutions extrajudiciaires parle d’un "transfert extrêmement grave" qui
a donné lieu, selon son rapport, à "plusieurs violations du droit
international". Agnès Callamard dénonce le transfèrement
"illégal" de ces 11 djihadistes français. Des combattants qui, selon
elle, ont été extradés de Syrie vers l’Irak grâce au soutien actif, ou passif,
des autorités françaises. Une démarche, dit-elle, "contraire à la justice la plus élémentaire". "Où est le processus de justice ? Où est
le processus de vérité ?" interroge-t-elle sur
franceinfo.
Si la France a été impliquée dans ces transferts, elle a violé une
norme absolue en droit international qui est que un État qui a aboli la
peine de mort ne peut en aucun cas transférer un individu dans un pays ou la
peine de mort continue d'être appliquée.Agnès Callamard, rapporteuse spéciale de l'ONUà franceinfo
Alors que Paris a toujours nié une quelconque implication
dans ce dossier, plusieurs de nos sources en Irak et en Syrie
corroborent l'hypothèse d'une implication directe de la France. En Syrie, une
juge kurde accepte de se confier anonymement : "Nous ne voulions pas du transfert des
jihadistes français vers un pays qui condamne à mort", nous
dit-elle. "C'est
la France et la coalition qui ont organisé et commandité cela",
affirme-t-elle. Les Kurdes syriens, qui détenaient initialement ces jihadistes
français, affirment qu'ils étaient contre ces transfèrements. Ils souhaitent,
eux, établir un tribunal international dans leur région autonome du nord-est
syrien. Une sorte de "Nuremberg" pour le groupe État islamique
afin de juger les 2 000 combattants étrangers, dont 800 européens, actuellement
détenus en Syrie par les Kurdes. "Les crimes ont été commis sur ce territoire, les victimes,
les coupables, les témoignages et les preuves sont ici. Pour les Français qui
ont rejoint Daech, c’est normal qu’on les juge en Syrie, en intégrant les lois
du pays d’origine, les lois françaises", soutient la
responsable politique kurde Berivan Khaled.
Nous voulons à tout prix mettre en place un tribunal international
au Kurdistan syrien.Berivan Khaled, responsable
politique kurdeà franceinfo
Mais
les gouvernements européens ne croient pas en ce projet de tribunal
international, trop compliqué politiquement, et préfèrent donc, semble-t-il,
transférer leurs ressortissants vers Bagdad. Maitre Nabil Boudi est l'avocat de
sept de ces Français transférés en Irak. Il espère en savoir davantage sur le
rôle de Paris, qui a toujours refusé de rapatrier les jihadistes français pour
les juger. Il dénonce des procès inéquitables : "Un procès expéditif, ça signifie qu’il
n’y a pas de procès justement. Comment ça s’est matérialisé en Irak pour les
ressortissants européens ?... Les audiences ont duré 20 minutes pour
chaque accusé, les avocats commis d’office n’ont pas eu accès au dossier et les
avocats français ont été empêchés, entravés dans leur travail."
Les délibérés ont duré entre une et trois minutes pour chaque
accusé. Ce qui signifie que les décisions étaient déjà prises à l’avance.Nabil Boudi, avocat de sept jihadistes français condamnésà franceinfo
Nabil
Boudi fait d'ores et déjà savoir qu'il est en relation avec d'autres avocats
européens, de Belgique d'Allemagne ou encore du Royaume-Uni, pour travailler
ensemble sur la question des jihadistes européens condamnés à mort à Bagdad.
Ils comptent porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Le
Quai d'Orsay a réagi lundi, lors d'un point de presse
électronique, aux observations de la rapporteure spéciale de l'Onu
à propos de l'implication éventuelle de la France dans le transfèrement de ces
jihadistes du nord-est de la Syrie vers l'Irak. "Les allégations formulées par Mme Agnès
Callamard ne reposent sur aucun échange préalable avec les autorités
françaises, comme le prévoient pourtant les procédures spéciales du Conseil des
droits de l'Homme", a déclaré le porte-parole adjoint du
ministère français des Affaires étrangères. "Elles ne sont nullement étayées,
relèvent de la pure spéculation et n'engagent qu'elle", a-t-il
poursuivi.