(Bagdad) En Irak, les dirigeants craignent un « effondrement »
économique si Washington met en application ses menaces de sanctions, dont
celle de bloquer l’accès aux revenus du pétrole qui assurent 90 % du
budget de l’État.
C’est peu après que le Parlement irakien eut voté l’expulsion des 5200
soldats américains déployés sur son sol, en réaction à l’assassinat le
3 janvier en Irak du général iranien Qassem Soleimani par un tir de drone
américain, que Washington a brandi la menace la plus effroyable possible pour
l’Irak, déjà traumatisé par plus d’une décennie d’embargo dans les années 1990.
« Nous leur imposerons des sanctions comme ils n’en ont jamais vu
auparavant », a affirmé le président américain Donald Trump. Des sanctions
qui « feront apparaître (celles) contre l’Iran comme presque
faibles ».
Aussitôt, un haut responsable américain contactait le bureau du premier
ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi, rapportent à l’AFP deux hauts
fonctionnaires irakiens.
« Si les troupes américaines sont expulsées, les États-Unis vont
bloquer votre compte à la Réserve fédérale (Fed) à New York », a-t-il
menacé, selon un de ces responsables.
Pour Bagdad, ce compte ouvert en 2003 dans la foulée de l’invasion
américaine est vital : c’est par lui que transite tous les revenus du
pétrole irakien en dollars.
Les conditions posées à l’ONU à l’époque prévoyaient la levée de
l’embargo international imposé sur l’Irak après l’invasion du Koweït en 1990,
en échange du prélèvement par l’ONU chaque mois sur ce compte des compensations
que l’Irak paye toujours au Koweït.
L’or noir, unique source de devise de l’Irak, deuxième producteur de
l’OPEP, assure 90 % du budget de l’État – 112 milliards de
dollars en 2019.
« Trump veut tout politiser »
Tous les jours, des fonds arrivent sur le compte dont le solde est
actuellement de 35 milliards de dollars, selon plusieurs responsables irakiens,
et chaque mois, l’Irak rapatrie en liquide un à deux milliards de dollars pour
ses besoins courants.
« Si l’accès à notre compte est bloqué, le robinet à dollars est
coupé », explique l’un d’eux.
« Ce sera l’effondrement », renchérit un second, car le
gouvernement ne pourra plus payer les millions de fonctionnaires et retraités
et la monnaie plongerait.
D’après un troisième responsable irakien, Washington envisage de ne
permettre le transfert de dollars qu’à hauteur du tiers de la somme habituelle.
Une restriction de l’accès au compte est une option évoquée à
Washington, confirme un haut responsable du département d’État américain à
l’AFP.
Contactée par l’AFP, la Fed a refusé de commenter.
Les menaces du président américain, impliquant directement la Réserve
fédérale, sont inédites, l’institution étant censée être indépendante.
« Politiser les envois de dollars inquiète la Fed car cela affecte
son prestige et son intégrité auprès de ses clients », affirme le
responsable américain, selon qui « Trump veut tout politiser ».
En juillet déjà, un diplomate américain à Bagdad affirmait à l’AFP que
Washington envisageait de « limiter les entrées de liquide en Irak ».
Conformément aux règles américaines, si Washington inscrit une
institution gouvernementale irakienne sur la liste noire du Trésor, alors
l’accès au compte de la Fed sera directement bloqué.
Pour l’instant, les États-Unis ont imposé des sanctions contre des chefs
miliciens, des politiciens accusés de corruption, des groupes armés ou des
banques accusées de liens avec l’Iran, mais n’a pas visé le secteur pétrolier.
Des mesures en ce sens porteraient un coup trop grave à un pays allié
des États-Unis, avaient par le passé estimé des responsables auprès de l’AFP.
« Perdre l’Irak »
Mais les autorités irakiennes s’inquiètent depuis longtemps de
sanctions, et le chef du Parlement les a lui-même évoquées avant le vote sur
l’expulsion des soldats américains, dont Washington refuse de discuter.
« Une des options de la communauté internationale est de couper ses
relations financières avec l’Irak », a-t-il prévenu, mettant en garde les
parlementaires contre une flambée du chômage et de la pauvreté, déjà endémiques
en Irak.
Une autre option, tout aussi dommageable pour les 40 millions
d’Irakiens, serait pour Washington de ne pas renouveler mi-février l’exemption
accordée à Bagdad pour qu’il continue à importer de l’énergie iranienne, malgré
les sanctions américaines contre Téhéran.
Grâce à cette exemption, renouvelée tous les trois mois, l’Irak garantit
plusieurs heures d’éclairage, de chauffage ou de climatisation à ses habitants.
À Bagdad, le lien avec Washington s’est déjà brisé.
Après l’appel menaçant qu’il a reçu, « le premier ministre était
furieux, il s’est senti insulté », rapporte un haut responsable irakien.
Et, prévient un autre, si Washington passe à l’action, « il perdra
l’Irak ».
« Ils vont nous pousser dans les bras de la Russie, de la Chine et
de l’Iran », tous à couteaux tirés avec les États-Unis.