7
années sont passées depuis que Nabil Na’îm, fondateur de l’Organisation du
Djihad (guerre sainte) égyptien, est sorti de prison, en 2011, après avoir été
condamné sous le régime de l’ex-président Hosni Moubarak. Il détient des
secrets accumulés pendant les différentes périodes qu’il a passées au sein de
l’Organisation et en prison.
Nous
avons voulu, durant cinq heures d’entretien avec lui, découvrir ce qui n’avait
pas été dit à propos de l’Organisation et savoir ce qui n’avait pas encore été
diffusé.
La
première surprise a été d’apprendre que l’idée de la création de l’Organisation
est née avec Mohammad Sâlim ar-Rahhâl, qui avait obtenu une maîtrise de
l’Université d’Al-Azhar en "fondements de la religion" (Faculté de
théologie) et que Na’îm considère comme le « fondateur de l’Organisation
du Djihad dans l’ensemble de la nation arabe », et en particulier le
Djihad islamique palestinien fondé par ses disciples en Palestine. Parmi ses
disciples figurent l’Egyptien Mohammad ‘Abd as-Salâm Farag, auteur de la fatwa
autorisant l’assassinat du président Anouar Sadate, dans son livre « Le
Djihad…L’obligation absente (Le devoir négligé) », et Fat’hi Chaqâqî, qui
fonda ensuite le Djihad islamique en Palestine.
L’inspiration
d’ar Rahhâl
La
rencontre de Na’ïm et d’ar-Rahhâl eut lieu en 1976, après l’attentat contre la
Faculté technique militaire perpétré par le courant islamiste comme tentative
de coup d'Etat militaire contre l’ex-président Anouar Sadate, dans laquelle 17
personnes furent tuées. Par ailleurs, des centaines de jeunes furent
emprisonnés, et leurs idées furent développées à l’intérieur des prisons. Ils
divergèrent sur le fait de déclarer incroyant le juge qui les avait condamnés,
de même que les policiers et les militaires à qui ils avaient affaire à
l’intérieur de leur prison. C’est alors que Na’ïm intervint pour soumettre ces
questions à ar-Rahhâl, en tant que l’un de ses disciples, pour qu’il donne un
avis religieux à ce propos. Il recourut alors à la fatwa d’Ibn Taymiyya
concernant les Tatars, que Mohammad ‘Abd as-Salâm Farag lui emprunta ensuite
pour publier sa célèbre œuvre « L’obligation absente (Le devoir
négligé) », dans le but de traiter ces soldats musulmans comme des Tatars.
Des
années plus tard, en 1979, ar-Rahhâl fut arrêté à l’occasion de l’affaire de
l’organisation du Djihad connue dans la presse sous le nom d’ « affaire de
l’année 79 » et qui vit l’arrestation de nombreux éléments de
l’organisation. Na’ïm intervint cette fois-ci auprès de l’avocat des
Frères Mukhtâr Nûh, pour pouvoir rencontrer le responsable de la sûreté d’Etat,
le général Hassan Abou Bâcha, pour le libérer. Mais la surprise fut qu’Abou
Bâcha décida de ne pas l’emprisonner mais de le renvoyer dans son pays, de
crainte que les officiers de la Sûreté ne soient convaincus par les idées
d’ar-Rahhâl durant l’interrogatoire. Car il avait des arguments et savait
convaincre – selon les termes de Na’îm. Puis ar-Rahhâl disparut après avoir été
expulsé d’Egypte et ses liens avec l’organisation furent rompus.
A
ce moment, et après l’arrestation du chef de l’organisation at-Takfîr wa al
Hijra lors de l’affaire dite « affaire de l’année 77 », Moustafa
Yousri, émir général de l’organisation de Sâlih Sirriyeh de 1977 à 1980,
annonça la dissolution de l’Organisation du Djihad, pour ne pas avoir à assumer
la responsabilité de ses membres, et l’Organisation se scinda en groupes qui
n’étaient pas convaincus par la décision de dissolution et continuèrent à
préserver leur force. L’un d’eux, qui était dirigé par Moustafa Yousri
avant «l’affaire de l’année 77 » fut placé sous le commandement
d’Ayman az-Zawâhirî , et un autre sous celui de Mohammad ‘Abd as-Salâm Farag.
Ces groupes comprenaient des officiers de l’armée, comme ‘Issâm al-Qamari, ‘Abd
al-‘Azîz al-Gamal et d’autres. Ils exécutèrent des opérations terroristes en
réponse aux événements de sédition confessionnelle à Az-Zâwiya al-Hamrâ’ en
1981, au début desquels de nombreux musulmans moururent.
Le
groupe d’az-Zawâhirî attaqua alors une église et jeta une grenade sur des
chrétiens réunis pour une fête. Quant au second groupe, il décida d’attaquer la
bijouterie al-Amîr appartenant à un citoyen chrétien de Choubra. Ils achetèrent
une mitrailleuse pour réaliser l’opération et demandèrent au groupe
d’az-Zawâhirî des munitions. Elles se trouvaient dans l’entrepôt d’une maison à
Qalioub, dans le gouvernorat de Qalioubiya à l’est du Nil. Na’ïm le loua à
cette fin, mais il refusa de livrer les munitions à az-Zawâhirî pour que
l’organisation ne soit pas impliquée dans une affaire de vol. C’est pourquoi
az-Zawâhirî embrassa la main de Na’ïm lorsqu’il le rencontra en prison par la
suite et lui dit : « Tu m’as sauvé car j’allais être impliqué avec
eux dans une affaire de vol ».
Les
Frères et le Djihad
Contrairement
à ce que l’on dit sur le fait que la confrérie des Frères (musulmans) apportait
un soutien financier caché à l’organisation du Djihad, en contrepartie de sa
condamnation des opérations de cette dernière – ce qui fut connu sous le nom de
la stratégie « une main tue et l’autre condamne » -. Na’ïm nie ces allégations,
mais il confirme qu’un lien avait été établi au moment de la création de
l’Organisation en 1974, par le biais de Sâlih Sirriyeh, le dirigeant connu des
Frères qui fonda une organisation indépendante de son groupe pour renverser le
président défunt Anouar Sadate, puis demanda à la dirigeante des Frères Zaynab
al-Ghazâlî son aide pour permettre aux Frères de diriger l’Etat en cas de
succès du nouveau mouvement, mais elle refusa. Na’ïm explique aussi que
les relations entre les Frères et les dirigeants de l’Organisation n’étaient
pas bonnes et qu’ils haïssaient la Confrérie du fait que Sadate l’utilisait
contre le mouvement nassérien.
Na’ïm
nie également que le groupe des Frères en Egypte ait soutenu financièrement
l’organisation du Djihad égyptien, affirmant qu’ils recouraient pour le
financement au braquage de joailleries. Il affirme aussi que l’Organisation ne
touchait pas d’aide de l’étranger à ses débuts, car c’était une organisation
locale, sans lien avec les services de sécurité, ou comme il la décrit,
« une union d’étudiants qui s’est transformée en Organisation du
Djihad ».
Concernant
les liens des chefs de l’organisation avec la Confrérie, Na’ïm dit :
« J’ai fréquenté Ayman az-Zawâhirî 20 ans et il m’a hébergé chez lui 3
ans, et il n’a jamais été membre des Frères (musulmans), et Ben Laden n’a pas
non plus prêté allégeance aux Frères. Je lui ai demandé : étais-tu membre
des Frères ? Et il a répondu : non, mais lorsque les Frères ont
combattu le président syrien Hafez al-Assad en 1982, j’ai collecté pour eux des
dons dans les mosquées pendant 3 ans, qui ont atteint 100 millions de riyals
saoudiens, et acheté cent véhicules tout terrain, pour soutenir les camps des
Frères en Jordanie, dans lesquels ils étaient préparés pour attaquer la Syrie.
Et comme cela ne se produisit pas, « il se retourna contre eux quand il
découvrit qu’ils étaient déloyaux », bien qu’az-Zawâhirî ait rapporté de
Ben Laden dans une séquence vidéo célèbre le fait d'avouer avoir fait partie
des Frères, et que la Confrérie lui confia une mission à Lahore au Pakistan, et
qu’il n’obéit pas à ses instructions de revenir après la fin de sa mission,
mais qu'il partit en Afghanistan, et fut alors exclu par la Confrérie des
frères musulmans.
Na’ïm rapporte du chef du commandant de la bataille de
Hama, ‘Omar ‘Abdel Hakim, surnommé « Abou Mus’ab as-Sûriy », les
coulisses des relations des Frères avec l’organisation du Djihad en Syrie,
« Talâ’i al-Fath », et le fait qu’ils ne croyaient pas en la pensée
des Frères. Mais après le massacre des pilotes alaouites perpétré par
l’organisation dans les années 80 du siècle dernier, Abou Mus’ab recourut au
dirigeant des Frères musulmans Sa’îd Hawa et à d’autres que lui pour affronter
al-Assad, et ceux-ci leur imposèrent comme condition pour les aider de
travailler sous la bannière des Frères. Ils nommèrent alors leur organisation
« Talâ’i al-Ikhwân » (l’avant-garde des Frères) au lieu de
« Talâ’i al-Fath » (l’avant-garde de la conquête) : c’est la
Confrérie des Frères qui gagna la sympathie de Ben Laden et pour lequel il
collecta des fonds dans les années 80.
Khâlid Musâ’id
Dans le cours de la conversation est apparu le rôle de
Khâlid Musâ’id, fondateur de l’organisation at-Tawhîd wal Djihad au Sinaï, qui
a participé aux attentats de Taba qui ont visé des hôtels en 2004, à ceux de
Charm al Cheikh en 2005 et de Dahab en 2006, à la suite desquels 2000 personnes
ont été arrêtées. Elles ont été emprisonnées avec les éléments du groupe
« an-Najûn min an-Nâr » (Les rescapés de l’Enfer) qui avaient
participé à 3 tentatives d’assassinat manquées, et Helmi Hâchem qui est devenu
par la suite le mufti de Daech (Etat islamique en Irak et en Syrie). Ils
apprirent ainsi d’eux le fait d’excommunier les musulmans (takfîr) et
lorsqu’ils s’évadèrent de la prison après la révolution de janvier 2011, ils
emportèrent avec eux cette conception de la société, qui fut adoptée par les
éléments de l’organisation « Ansâr Bayt al-Maqdis » à Gaza, jusqu’à
ce que le dirigeant des Frères Khayrat ach-Châter les rencontre après l’arrivée
des Frères au pouvoir pour les utiliser au profit de sa Confrérie.
Répartition des rôles
Les rôles des terroristes à l’intérieur de leurs
organisations varient en fonction de leurs nationalités. Selon Na’ïm, les
combattants arabes sont toujours chargés des opérations suicides, qui sont
rarement exécutées par des combattants américains ou européens. Tandis que les
Tchétchènes se chargent des missions de tueries et de meurtres étant donné leur
rudesse. Ainsi, à l’intérieur de Daech, par exemple, on les appelle
les « égorgeurs », et c’est pourquoi la Russie a tué 2500
Tchétchènes parmi les combattants de Syrie, après que Poutine eut décidé de ne
pas les rapatrier.
Quant aux chefs du Front d’al Nusra en Syrie, il a
affirmé que la plupart d’entre eux sont Egyptiens, étant donné que 1500
Egyptiens sont partis là-bas, la majorité appartenant au mouvement
« Hâzimûn » partisans de Hâzim Abou Ismâ’îl, parmi lesquels ‘Abd
al-‘Azîz al-Gamal, parti en Syrie durant l’année du règne des Frères, après la
conférence du président déchu Mohammad Morsi intitulé « Aide à la
Syrie » en 2013. Al-Gamal « était au service d’Israël et dressait les
Syriens contre Bachar al-Assad, parce que la chute de la Syrie servait les
intérêts d’Israël », selon Nabîl Na’îm.
Le Hezbollah
Le fondateur de l’organisation du Djihad continue de se
flatter de ses liens avec le Hezbollah libanais, affirmant : « Avant
la fondation de l’organisation du Djihad, j’ai été entraîné par l’Organisation
de Libération de la Palestine (OLP), et j’ai voyagé au Liban pendant la guerre
en 1977. Je suivais des stages de formation, tel que celui de « pureté révolutionnaire »
qui nous a appris que lorsqu’on tue un ennemi, on ne le fouille pas, même s’il
a avec lui un million de livres égyptiennes. Sinon, ils vont abandonner ta
cause et t’accuser de vol. J’ai toujours de bonnes relations avec le Hezbollah auquel
j’ai dit : si une guerre éclate entre vous et Israël, j’y participerai
sans aucun doute… Je souhaite mourir en combattant contre Israël ».
Les mosquées étaient un refuge relativement sûr pour
nombre d’éléments et de chefs de l’organisation ayant échappé aux poursuites
des forces de sécurité, surtout du fait de leur contrôle d’un certain nombre
d’entre elles, et de la difficulté pour ces forces d’y pénétrer. Ainsi, au
moment où Mohammad ‘Abd as-Salâm Farag –l’un des fondateurs du Djihad– échappa
à Sadate après la décision de réserve de l’année 1981, il se cacha dans la
mosquée ‘Omar ibn ‘Abdel ‘Azîz et bien dans d’autres mosquées célèbres qui étaient
sous le contrôle de l’organisation, comme celle d’as-Sayyeda ‘Aicha dans le
quartier de Dhâher au nord du Caire, celle de Fâtima az-Zahrâ’ dans la zone
d’as-Sâhel à Choubra, au nord du Caire.
Lors d’une confrontation de Na’ïm et de son compagnon
l’officier ‘Essâm al-Qamari avec les forces de l’ordre dans le quartier du
Moqattam au sud-est du Caire, ils se réfugièrent dans la mosquée de Sayyeda
‘Aïcha et apportèrent un récipient qu’ils remplirent d’essence dans lequel ils
démontèrent leurs armes. De même, le fondateur de l’organisation a reconnu
qu’ils utilisaient certaines mosquées dans un nombre de gouvernorats en Egypte
comme dépôts d’armes. Ils plaçaient les armes au pied du minbar mais en petites
quantités, en prétextant les utiliser pour se défendre au cas où les forces de
sécurité y pénétreraient.
L’assassinat de Sadate
L’assassinat du président Sadate en 1981 marqua un
tournant décisif dans la vie de l’organisation du Djihad égyptien. Nabil dit à
ce propos : « Khâled al-Islambouli informa Mohammad ‘Abdel Salâm
Farag de sa participation à la parade militaire devant Sadate et du fait que sa
brigade faisait des répétitions à cet effet, que son véhicule serait le premier
à passer devant le podium et qu’il y aurait entre lui et le président 20
mètres. « Et si l’équipe des soldats dans le véhicule était changée et
remplacée par des éléments du Djihad à l’intérieur de l’armée qui maîtrisaient
les armes à feu, il serait possible de se débarrasser de Sadate. Et de fait,
Khâled octroya une permission à l’équipe de soldats de son véhicule et donna
l’ordre à ses officiers de rejoindre la brigade de la parade.
Tout était prêt sauf les munitions et l’aiguille
permettant d’ouvrir le feu qui furent amenées par un frère lieutenant-colonel
du nom de Mamdouh Abou Gabal, qui ne fut pas jugé dans cette affaire, car il
fut considéré comme témoin et qui témoigna bel et bien ontre toute la cellule.
Le rôle de Nabîl était d’apporter une partie des munitions par le biais d’Ayman
az-Zawâhirî puis de ‘Abdel Salâm Farag. Quant à l’autre partie, elle fut amenée
par les éléments du gouvernorat d’ach-Charqiya. Cependant, Na’îm ne fut pas
impliqué dans cette affaire, car il dit au juge qu’il n’était pas un officier,
et il nia tout lien avec les munitions et indiqua un autre individu censé en
être responsable : c’était un officier de la défense aérienne du nom
d’Ibrahim Salâma, qui fut tué durant l’opération. Et il reconnut que c’était
les écrits mensongers des Frères sur les prisons de ‘Abdel Nasser qui les
avaient poussés à assassiner Sadate. Car ils pensaient alors que le président
leur ferait subir ce que ‘Abdel Nasser avait fait subir aux Frères en les
torturant à mort. Et d’affirmer : « Nous avons rencontré les gens sur
lesquels les Frères avaient écrit en prison, et nous nous sommes convaincus
qu’ils avaient été lésés ».
Ce n’était pas la première fois qu’ils avaient envisagé
d’assassiner le président Sadate, car il y avait eu une tentative qui avait
échoué, lorsque ‘Abboud az-Zamar qui était alors officier dans les services de
renseignements et membre de l’Organisation, les informa que le président allait
se rendre à Mansoura pour inaugurer l’usine d’engrais Talkhâ. Ils allèrent en
reconnaissance sur la route conduisant à l’usine, y firent des trous après
avoir revêtu un uniforme officiel sur lequel était écrit :
« Gouvernorat de Daqahliya. Société d’électricité », une tonne d’explosifs
fut déposée dans des conduites enfouies sous la route. Mais ils furent surpris
d’apprendre que le président avait atterri en hélicoptère sur le terrain de
sport de Mansoura, à côté de l’usine, et la tentative d’assassinat échoua.
Regret… et perspicacité
Interrogé après ces propos francs, alors qu’il feuillette
son cahier de souvenirs : regrettez-vous d’avoir participé à l’assassinat
de Sadate ? Et si l’occasion se représentait, y participeriez-vous ?
Il répond catégoriquement : « Oui, je regrette d’y avoir participé,
et si l’occasion se représentait, je n’y participerais pas ». Et il dit
que Sadate était charitable envers les pauvres et c’est pourquoi il leur a
alloué une pension sociale qui porte son nom.
Peu de chance et beaucoup de perspicacité expliquent le
fait que le fondateur du Djihad ait échappé à de nombreux procès, car dans
l’affaire de l’assassinat de Sadate, avant d’être arrêté, Na’îm avait livré
l’entrepôt d’armes qui étaient en sa possession à az-Zawâhirî et il n’y avait
pas de contrat de bail pour la maison de Qalioub qui servait d’entrepôt pour
les armes. Lorsque les forces de sécurité ont fait une descente dans la maison,
elles ont trouvé des traces de percement à l’endroit sous lequel les caisses de
bombes avaient été enfouies. Et lorsqu’ils l’interrogèrent, il répondit :
« L’organisation m’a demandé de creuser pour stocker les armes et lorsque
j’ai creusé, ils m’ont dit que ce trou n’était pas convenable ». Une
réponse qui montre son intelligence et sa répartie. Egalement, lorsque az-Zawâhirî
lui demanda d’imprimer le livre « al-‘Omda fi i’dâd al-‘idda » (Le
pilier sur la préparation [du djihad]), Na’im confia cette tâche à un élément
de l’organisation du nom de Haytham ‘Abd Rabbo qui travaillait dans une
imprimerie en lui demandant d’imprimer 1000 exemplaires puis d’en vendre 100 à
la Foire du Livre et de distribuer le reste aux frères, en leur conseillant, au
cas où ils étaient interrogés, de dire qu’ils les avaient achetés à la Foire du
Livre. Et pour cacher son crime, il fit partir Haytham en Afghanistan ; mais
lorsqu’on l’interrogea, il le dénonça pour montrer qu’il collaborait, ainsi que
pour se disculper et échapper à la torture, sachant qu’en fin de compte,
Haytham n’allait pas être arrêté. De même, lorsqu’il fut interrogé sur les
éléments qu’il avait fait partir à l’étranger, il dit qu’il n’était pas
responsable des affectations à l’étranger au sein de l’organisation, et que
c’était ‘Adel ‘Abdel Majîd ‘Abd al Bârî, qui avait fui alors à Londres.
En Afghanistan
Nabîl a fait des déclarations surprenantes durant
l’entretien, parmi lesquelles le fait qu’Ayman az-Zawâhirî, actuel chef de
l’organisation d’Al-Qaeda, en remplacement de Ben Laden, avait une personnalité
faible et était manipulé par son entourage, et que les informations selon
lesquelles il manipulait Ben Laden étaient mensongères. Il a dit aussi que
c’est az-Zawâhirî qui l’avait dénoncé dans l’affaire de l’assassinat de Sadate,
mais que malgré cela, il l’aimait et lui pardonnait ce qui était arrivé. Il a
affirmé aussi que l’idée d’affronter l’ennemi lointain plutôt que l’ennemi
proche était purement théorique et que Daech (l’Etat islamique) allait être
liquidée, alors qu’Al-Qaeda perdurerait et s’étendrait.
Autre information inattendue : le fait qu’Ossama ben
Laden planifiait une attaque contre la Bourse de New York avec une bombe
nucléaire avant les événements du 11 septembre 2001, et qu’il s’était mit
d’accord avec un général pakistanais pour voler la bombe à l’Union soviétique
après sa dislocation. Il s’agissait d’une bombe à fission nucléaire composée de
2 à 5 kg d’uranium, placée à l’intérieur d’une valise. Il s’entendit avec des
trafiquants de drogue au Pakistan pour la faire passer en contrebande en
Amérique, en contrepartie de 10 millions de dollars. Il s’entendit aussi avec le
général russe (chargé de laisser voler l’arme, NDT) pour lui verser 5 millions
de dollars, et 5 autres au général pakistanais, et paya effectivement un
acompte d’un million de dollars. Mais lorsqu’il reçut la valise avec la bombe,
l’un des éléments de l’Organisation diplômé en ingénierie nucléaire, du nom
d’Abou ‘Abd ar-Rahman al-Iliktroniy, l’examina avec un instrument de mesure de
la radioactivité « acheté spécialement du Japon pour 25000 dollars dans ce
but », et trouva que le degré de radioactivité était inférieur à celui de
l’air. Ils décidèrent alors d’ouvrir la valise et y trouvèrent un missile
Stinger, et s’aperçurent qu’ils avaient été l’objet d’une escroquerie.
Ben Laden
Na’îm ne put retenir ses larmes lorsqu’il se rappela de son
cheikh Ossama ben Laden. Il leva les mains pour demander à Dieu de lui
pardonner et lui faire miséricorde, et lut la sourate al-Fatiha (sourate
d’ouverture du Coran) pour que son âme repose en paix. Il dit qu’il avait
pleuré Ben Laden à deux reprises : la première dans un débat sur une
chaîne satellite, et la seconde lors de cet entretien. Parce qu’il le considère
comme un homme rare, un Moujtahid, et que c’est lui qui avait tué le chef
afghan Ahmad Chah Mas’oud. «J’étais hébergé chez lui à al-‘Azîziyya pendant l’accomplissement
du petit pèlerinage, et je l’ai accompagné au Soudan et en Afghanistan ».
Il raconte qu’il n’avait confiance pour sa garde personnelle qu’en les
Saoudiens et les Yéménites. Il affirme que l’Amérique ne l’a pas tué, mais que
c’est lui qui s’est fait exploser après qu’ils l’aient encerclé. C'est pourquoi
ils n’ont pas obtenu son cadavre. Il a obtenu cette information par son
beau-frère, un Egyptien de la ville de Mansoura, capitale du gouvernorat de
Daqahliya, au nord-est du Delta. On lui a rapporté de la femme d’Ossama que
celui-ci portait une ceinture d’explosifs depuis des années qu’il n’enlevait
que pour aller dormir ou se laver.
Une autre déclaration surprise : le fait que l’idée de
faire exploser les deux tours du World Trade Center à New York aux Etats-Unis
venait d’une tentative ratée de faire exploser l’ambassade d’Israël en Egypte.
Na’im dit : « Nous avons pensé en Afghanistan frapper l’ambassade
d’Israël en Egypte par le biais d’un avion de fumigation bourré d’explosifs et
piloté par un kamikaze. Et de fait, nous avons trouvé l’avion, et nous avions
dans l’organisation un frère qui pilotait un F16 et qui accomplissait des missions
de protection des navires traversant le Canal de Suez. Il affirma qu’il était
prêt à réaliser cette tâche, mais malheureusement, il raconta cela à l’un de
ses proches amis, qui le dénonça, et l’opération échoua ».
L’attaque de Manhattan
Lorsque Khâled Cheikh Mohammad, l’un des planificateurs
des événements du 11 septembre, entendit cette idée, il suggéra à Ben Laden de
détourner un certain nombre d’avions en prenant leurs passagers en otages, et
de les envoyer sur les deux tours du World Trade Center, sur le Pentagone et
ailleurs. L’objectif de l’opération n’était pas de faire tomber les deux tours,
mais de tuer les passagers, pour que l’administration américaine réponde
favorablement aux demandes de l’organisation par la suite, si elle prenait à nouveau
des otages. La cause motrice de cette attaque était l’embargo américain contre
l’Irak, après un rapport des Nations unies faisant état de 600000 enfants
irakiens décédés du fait de l’impossibilité d’importer des vaccins. Le rapport
circula à l’intérieur des camps d’Al-Qaeda et cela attisa le désir de vengeance
de ses membres. C’est ainsi que 200 parmi eux de nationalités différentes se
portèrent volontaires pour des opérations suicides, selon le souhait de Ben
Laden, parmi lesquels figurait Mohammad ‘Ata, l’un des exécutants de
l’opération.
Et de poursuivre : « L’un des frères qui était
ingénieur de génie civil suggéra à Ben Laden de frapper la tour à partir de son
tiers supérieur, plutôt que de tuer les passagers, car cela provoquerait son
effondrement du fait que ses murs étaient en acier et non pas en béton et
reposaient sur des amortisseurs, ce qui signifie que cela entraînera une
secousse terrible et l’effondrement de la tour.
A la question : pensez-vous que cet événement relève
du Djihad (guerre sainte) alors qu’il a coûté la vie à des civils innocents, ce
qui a terni l’image de l’islam en Occident, et conduit l’Amérique à déclarer la
guerre aux musulmans dans de nombreux pays ?
Il répond qu’il était contre le meurtre de civils
quels que soient les crimes de leurs gouvernements, car le citoyen n’est pas
responsable de ces crimes, mais que ce qui est arrivé était une réaction au
meurtre par l’Amérique de 300 000 civils, enfants comme femmes, au Japon par le
lancer de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, ainsi que des enfants
d’Irak par l’embargo sur le matériel médical. Il affirme que les politiques
américaines de parti pris en faveur d’Israël suffisent à convaincre les
extrémistes de rejoindre les organisations terroristes, surtout que les preuves
religieuses ne suffisent pas à persuader de la nécessité des opérations
suicides, qui ne sont utilisées que pour les justifier.
Les Frères et la récolte amère
Concernant son opinion sur la Confrérie des Frères
musulmans, il affirme que c’est l’un des pires groupes apparus dans l’histoire,
car ce sont des criminels politiques. Ils travaillent dans le seul intérêt
d’Israël, et protègent sa sécurité. Il argumente par les propos de ‘Abbâs
al-‘Aqqâd à Hassan al-Bannâ, fondateur de la confrérie, dans un article publié
dans la revue « al-Assâs », à savoir que le but de l’organisation des
Frères est de consacrer le projet sioniste en Palestine. Malgré cela, il ne les
considérait pas comme incroyants, et ce fut la raison de son refus d’imprimer
le livre « La récolte amère » d’Ayman az-Zawâhirî dans lequel il les
déclare incroyants.
Concernant la répétition de l’expérience de
l’organisation du Djihad en Egypte avec l’évolution technologique impressionnante,
il affirme que les choses ont beaucoup évolué et que les moyens de
communication permettent de recruter un plus grand nombre d’éléments, alors qu’auparavant,
les capacités de recrutement étaient individuelles. Outre le fait que
l’Internet permet aujourd’hui de fabriquer une bombe chez soi.
Parmi les anecdotes qui montrent comment convaincre les
éléments des organisations djihadistes de collaborer avec les services de
sécurité comme une étape vers leur démantèlement, citons celle de ‘Abd al-Qawi,
que la sûreté d’Etat a réussi à enrôler dans le gouvernorat d’Alexandrie, en le
convainquant qu’il était préférable qu’il révèle l’identité de ses camarades
avant l’exécution de leurs opérations que de les arrêter après, car cela
réduirait les peines prononcées contre eux. Le responsable de l’organisation en
Egypte à cette époque (1977-1980) était un certain Moustafa Yousri, après qu’il
ait restructuré l’organisation suite aux événements de la Faculté technique
militaire et qu’il ait pu obtenir une caisse volée à l’armée contenant des
bombes. ‘Abd al-Qawi s’empressa alors d’informer la police à propos de cette
caisse, du fait que la peine encourue ne serait alors que de quelque mois de
prison, alors qu’après l’opération, elle pourrait atteindre la peine de mort ou
la prison à vie.
Je suis mort à Lâzûghlî
Au milieu des souffrances de la torture, peuvent se
produire des situations amusantes. C’est ainsi que Na’îm raconte que, alors
qu’il était torturé au siège de la sûreté de l’Etat place Lâzûghlî en 1992, il
perdit connaissance. L’un des éléments de l’organisation qui se trouvait par
hasard dans les lieux à ce moment-là le vit et pensa qu’il était mort sous la
torture. Il en informa ses camarades dans la prison, qui firent pour lui la
prière funéraire pour le défunt absent. Le journal Ach-Cha’b publia alors la
nouvelle de sa mort le jour suivant, et son frère envoya un fax au bureau de
l’ex-président Hosni Moubarak. Le fax fut reçu par Zakaria ‘Azmi, alors chef du
cabinet présidentiel. Il le transmit au président qui ordonna une enquête sur
l’incident après s’en être assuré. La présidence téléphona alors à Lâzûghlî
pour s’assurer du décès, et le président envoya un émissaire pour visiter Na’îm
en prison et s’enquérir de son état. Et à partir de ce moment, il ne fut plus
torturé, jusqu’à sa sortie de prison en 2011, suite à la révolution de janvier.
Sachant qu’il avait été torturé pendant 4 mois, dont 40 jours de torture
continue.