DAECH,
sobriquet teinté, à l’origine, d’une franche moquerie, tiré de l’acronyme
arabophone d’Etat Islamique en Irak et au Levant, a fait, en
l’espace d’à peine un an, une entrée fracassante dans le langage courant de la
plupart des pays du monde.
En frappant, à deux reprises, au cœur de Paris, puis à Bruxelles, ce nouveau tentacule du
djihad mondial a pu marquer les esprits et occuper le devant de la scène
médiatique internationale.
Cette spectaculaire et macabre intrusion dans la vie et dans le
langage du monde, n’est pas sans rappeler un précédent djihadiste
quasi-similaire, qui a vu émerger, quatre années auparavant, un autre acronyme :
AQMI, pour Al-Qaida au Maghreb Islamique.
En réussissant, en septembre 2010, une audacieuse prise d’otages
visant sept employés du géant du nucléaire français Areva, la branche
sahélo-maghrébine de l’organisation Ben Laden avait, en effet, occupé les
langues et les esprits durant des mois. Au point d’éclipser, pour un moment, la
maison-mère al-Qaida.
Comme ce fut le cas pour AQMI, au lendemain de la prise d’otages d’Areva,
Daech a atteint l’apogée de sa terrifiante réputation, à travers les sanglantes
attaques perpétrées à Paris et à Bruxelles.
Mais, à l’instar d’AQMI en son temps, Daech n’est qu’une
« bulle » passagère et surestimée. Et de ce fait, le pseudo-Califat,
qu’il a instauré, en s’autoproclamant
Etat Islamique, est imposant, terrifiant et surdimensionné, comme
l’est toute « bulle », par définition. Il n’en est pas moins
éphémère !
Qui se souvient ou se soucie aujourd’hui, cinq ans à peine après sa
fracassante ascension, du terrifiant AQMI et de son armada d’« émirs du
désert », qui étaient sur
toutes les lèvres, en 2010-2011 ?
Et qui se souviendra, demain, de l’abominable Daech et de ses
hordes de « Khmers rouges du djihad », après l’éclatement de la bulle
syro-irakienne, qui a servi de couveuse à la déferlante djihadiste affluant des
quatre coins du monde pour grossir ses rangs ?
Profitant du chaos né des révoltes dites du « printemps
arabe », Daech a, certes, pris une dimension grandiose, en mettant la main
sur un vaste et fertile territoire, sans commune mesure avec la désertique
bande sahélo-saharienne qu’occupait AQMI ; sur un impressionnant arsenal de
guerre, comprenant des centaines de pièces d’artillerie, de tanks, et même
d’avions de chasse ;
et surtout sur une gigantesque manne financière, que jamais aucune organisation
terroriste n’a pu obtenir auparavant.
Cependant, les attaques parisiennes du 13 novembre 2015, qui ont,
pourtant, donné à Daech son aura internationale, sont aussi celles qui ont fini
par sonner le glas de son pseudo-Califat !
Ce double-tranchant paradoxal n’est pas sans rappeler le revers
fatal qu’a subi AQMI, dans la foulée de sa « glorieuse » prise
d’otages d’Areva, saluée, à l’époque, par Oussama Ben Laden en personne.
En effet, l’aura médiatique et la manne financière obtenue par les
katibas sahéliennes d’AQMI, grâce à l’opération Areva, ont renforcé leur
position auprès de la maison-mère al-Qaida, au détriment de leur hiérarchie
directe, basée dans les maquis du nord de l’Algérie. Nourrissant, chez les « émirs
du désert », l’ambition de conquérir un plus vaste territoire.
C’est ainsi qu’ils lancèrent leur offensive sur Bamako, en janvier
2013, contraignant la France à réagir, en déclenchant l’opération Serval, qui
allait conduire à l’anéantissement du sanctuaire djihadiste de l’organisation, au
Sahel.
De la même façon, les attaques du 13 novembre 2015 ont, certes,
accentué l’ascension de Daech, en grossissant ses rangs de plusieurs centaines
de recrues djihadistes, venant notamment d’Europe et du Maghreb. Mais, elles
ont, aussi et surtout, eu pour effet de multiplier les prestations d’allégeance
de la part de groupes djihadistes de diverses nationalités, qui ont choisi de
rejoindre le pseudo-Califat de Daech, lui offrant spontanément de nouveaux territoires
du djihad.
Ces ralliements spontanés ne tardèrent pas à faire émerger au sein
de Daech l’ambition de s’internationaliser. Ainsi, l’autoproclamé Calife, Abou
Bakr al-Baghdadi, commença à installer ses tentacules dans des régions
lointaines, sans continuité territoriale avec Dar al-Khilafa (la
maison-mère du Califat).
Des territoires qui s’étendent du Nigéria à l’Indonésie, en passant
par la poudrière libyenne, où Daech a officiellement installé son deuxième émirat
(principauté), à Syrte, et le Caucase, où les Djound al-khilafa (Soldats
du Califat) nourrissent l’ambition de titiller le talent d’Achille du colosse
russe !
Cette globalisation fulgurante de Daech a engendré un
« dommage collatéral » de taille : une « génération
spontanée » de candidats au djihad, qui se sont auto-érigés en bras armé du
Califat daechien en Occident. Engageant à l’encontre de celui-ci une forme
inédite de « terrorisme low-cost », dont le concept relève davantage
de la « pulsion de mort » nihiliste que de la traditionnelle
« guerre sainte » salafo-djihadiste.
Ce nihilo-djihadisme, irrigué, le plus souvent, par des motivations
socio-psychologiques et identitaires, sans liens directs avec le fait
religieux, s’est traduit par un modus operandi propre à cette
« légion étrangère » daechienne, donnant naissance à un terrifiant
phénomène d’« uberisation » du djihad : des réseaux de moins en
moins sophistiqués, dont les composantes sont le plus souvent réduites à de
mono-cellules, plus connues médiatiquement sous le sobriquet de « loups solitaires » ;
des moyens et des modes d’action aussi rudimentaires qu’inattendus. Ce qui rend
leurs actions nettement plus difficiles à démasquer ou à anticiper par les
services antiterroristes.
Et à l’arrivée, ce « terrorisme low-cost », dépourvu de
toute visée politique, qui n’a jamais autant mérité son qualificatif
d’« aveugle », parvient à horrifier les opinions et marquer les
esprits, par un effet de terreur sans précédent.
Une horreur accentuée par le fait que ce type de terrorisme
rudimentaire, teinté d’amateurisme et d’improvisation, s’émisse dans la
« banalité » de la vie et vise à s’installer dans le quotidien.
Menaçant, comme jamais, la liberté et l’insouciance qui caractérisent le mode
de vie occidental.
Or, l’effet de cette abominable « uberisation » de la
terreur a été d’un double-tranchant fatal pour Daech. Il a, certes, décuplé le
pouvoir de nuisance de ses tentacules étrangères. Mais, de ce fait, il a aussi
considérablement contribué à resserrer l’étau autour de son pseudo-Califat.
En effet, le pouvoir de nuisance grandissant des hordes daechiennes
lancées à l’assaut de l’Occident a, très vite, relégué au second plan les
divergences d’opinions et d’intérêts qui déchiraient les grandes puissances, régionales
et mondiales, depuis l’éclatement de la crise syrienne.
Ainsi, naquit un large consensus international portant sur la
nécessité d’en découdre avec l’hydre daechienne, avant que ses tentacules
prennent de l’ampleur et ensanglantent d’avantage le monde, en perpétrant ou en
suscitant spontanément - et c’est encore plus terrifiant ! - de nouvelles
attaques retentissantes et massives.
Le 15 novembre 2015, deux jours après les attentats de Paris, une dizaine
de chasseurs français ont lancé, pour la première fois, des raids intensifs sur
des camps d’entrainements et des centres de commandement daechiens, au cœur-même
de Raqqa, la capitale autoproclamée du pseudo-Califat.
Et depuis, une coalition de plusieurs pays occidentaux et arabes
mène régulièrement des frappes aériennes contre les fiefs daechien, en Syrie
comme en Irak. Tandis qu’auparavant, ces raids étaient cantonnés à la seule
partie irakienne du territoire occupé par Daech.
Et, avec la bénédiction des Etats-Unis et de la France, l’Arabie
saoudite annonçait, le 15 décembre 2015, la formation d’une coalition de 34 pays
musulmans prêts
à engager, le moment voulu, de forces terrestres, pour renforcer et accompagner
les raids de la coalition internationale. De façon à combler la réticence
occidentale à l’envoi de troupes au sol, pour débusquer Daech de ce qui lui
reste de fiefs en Syrie et en Irak. Et briser, ainsi, les reins de son pseudo-Califat.
De son côté, l’entrée en guerre de la Russie, rendue officielle le
30 septembre 2015, a contribué à porter des coups de plus en plus durs aux
positions syriennes de Daech. Et ce grâce à des frappes aériens conduites en
étroite collaboration avec les forces terrestres de l’armée régulière syrienne,
épaulées par le Hezbollah libanais et les milices des Pasdarans (Gardiens de la
révolution) iraniens.
Tant et si bien que de plus en plus d’experts, politiques et
militaires, s’accordaient, dès le début de 2016, à prédire un net inversement
de tendance, qui allait conduire, à terme, à l’éclatement de
la « bulle » daechienne et à la destruction de son pseudo-Califat.
Ces prédictions semblaient d’autant plus crédibles qu’après de
longs mois de passivité et de complaisance, dues à des calculs tacticiens
visant à accentuer la baisse des prix des hydrocarbures, la coalition internationale
conduite par les Etats-Unis s’est décidée, enfin, à frapper le Califat daechien
au portefeuille, en ciblant ses ressources pétrolières.
En ciblant régulièrement ces convois qui transportent, vers la
Turquie voisine, le pétrole produit par Daech, la coalition internationale a
réduit considérablement les ressources financières du pseudo-Califat, le
privant d’une colossale manne pétrolière, qui lui rapportait plus de 2 millions
de dollars par jour !
Affaibli financièrement, Daech multiplie les déconvenues
militaires. Et, mois après mois, le territoire de son pseudo-califat
rétrécissait comme peau de chagrin : il perd, successivement,
Kobané, le 27 janvier 2015 ; Tikrit, le 31 mars ; le mont Sinjar, le 12
novembre ; Ramadi, le 28 décembre ; Shaddadi, le 19 février 2016, Palmyre,
le 27 mars ; Falloujah, le 26 juin ; Dabiq, le 16 octobre… Jusqu’à la
libération, le 9 juillet 2017, de Mossoul dont la prise retentissante, en juin
2014, fut le point le départ de l’instauration du Califat daechien.
La débâcle de l’organisation terroriste s’est
ensuite poursuivie à Tel Afar,
et Hawija, en aout côté irakien, et
à Deir ez-Zor, en Syrie. Puis, vint la
reprise, par l’armée irakienne, du poste frontalier d’al-Qaïm,
qui revêt un caractère symbolique de toute importance. Car, la destruction de
cette passe fut l’acte fondateur du prétendu « État Islamique » par lequel
Daech ambitionnait d’abolir les frontières héritées des accords Sykes-Picot,
pour restaurer le califat.
Puis, la reprise de Raqqa,
la capitale autoproclamée Daech, a fini de mettre en lambeaux son pseudo-califat ;
rendant, ainsi, inéluctable l’éclatement de la « bulle »
daechienne. Un éclatement qui soulage, certes, mais n’apporte pas que de bonnes
nouvelles !
En effet, pour rétablir la paix et contenir les risques de guerres
civiles, en Irak, en Syrie ou en Libye, la destruction du pseudo-Califat daechien
constitue, sans contestation, un élément déterminant et stabilisateur.
Par contre, sur le front de la menace terroriste globalisée,
l’effet de cet éclatement de la « bulle » daechienne sera d’une
toute autre portée. Car, comme toutes les déferlantes djihadistes qui l’ont
précédée, depuis la guerre antisoviétique en Afghanistan, (1979 - 1989), la
« légion étrangère » de Daech basculera inéluctablement, après la
perte de son territoire, de la « phase d’afflux » à celle du
« reflux ».
La première phase a vu plusieurs dizaines de milliers de candidats au
djihad accourir de tous pays, à partir de l’été 2014, pour rejoindre le prétendu
Califat daechien. La destruction de la couveuse irako-syrienne, qui servait de
territoire à ce Califat, a inauguré une « phase de reflux », durant
laquelle la tendance sera inversée : l’afflux djihadiste à destination de
Daech s’est tari, laissant place à une « Hidjra » (migration) opposée,
qui a lancé les rescapés djihadistes, ayant survécu aux frappes militaires, à
la recherche de nouveaux refuges, pour échapper à la traque policière qui s’est
abattu sur eux.
A cet effet, deux mémorables précédents djihadistes laissent
présager le pire pour les pays d’origines de ces « rescapés
djihadistes » de l’ère post-daechienne :
- la déferlante des « afghans arabes », qui a ensanglanté
plusieurs pays arabes, tels que l’Algérie, l’Egypte ou le Yémen, au début des
années 90, lorsque cette première génération de vétérans djihadistes fut
contrainte à quitter l’Afghanistan, à la fin du « djihad » contre les
soviétiques, suite à l’éclatement de la guerre civile opposant les différentes
factions des moudjahidines afghans.
- la vague néo-djihadiste qui s’est abattue sur le monde arabe et
sur l’Europe, suite à la destruction du sanctuaire afghan d’al-Qaida, au
lendemain des attaques du 11 septembre 2001. Et qui a donné naissance aux
« émirs aux yeux bleus », la toute première
génération de djihadistes européens, qui fut à l’origine d’une longue et
sanglante série d’attentats, de Djerba (avril 2002) à Casablanca (mai
2003) ; et de Madrid (mars 2004) à Londres (Juillet 2005).
La terrifiante force de nuisance du « terrorisme low-cost »,
engendré par le phénomène d’« uberisation » du djihad sous Daech, a
permis à quelques dizaines seulement de ses néo-djihadistes revenus en Europe de réussir
des attaques aussi sanglantes que celles de Paris, de Bruxelles, de Londres et
de Barcelone.
Raisons pour lesquelles, ce qui pourrait advenir, dans l’optique
d’une déferlante de plusieurs milliers de « revenants » djihadistes
d’origines européennes, qui pourraient regagner le Vieux Continent, suite à l’éclatement
de la « bulle » daechienne », commence à donner des sueurs froides
aux gouvernants et aux services antiterroristes Européens !